Etre francophone, c’est appartenir à une grande famille qui a la langue française en partage, c’est le sens étymologique du terme francophone, et qui se retrouve sur un certain nombre de valeurs telles que la démocratie et le respect de la diversité culturelle.
On estime aujourd’hui à 274 millions le nombre de francophones dans le monde. Ce chiffre pourrait augmenter pour atteindre 700 millions en 2050, porté essentiellement par la démographie du continent africain.
La francophonie est d’abord un double héritage, celui de l’expansion de l’empire colonial français et belge au 19è siècle, également celui du rayonnement culturel français au sein des cours royales européennes. La langue française s’est ainsi imposée aux quatre coins du monde tantôt par choix, quelquefois par nécessité souvent par obligation.
Aux lendemains des indépendances des voix se sont élevées, au sein même des anciennes colonies, pour reconnaître les potentialités d’avenir de la langue française et revendiquer une nouvelle forme de relation avec la France. Ces voix, ce sont celles de l’ancien président de la république du Niger, Hamani Diori (1916–1989), symbole de l’émancipation de l’Afrique sub-saharienne, de l’ancien roi du Cambodge, Norodom Sihanouk (1922–2012), d’Habib Bourguiba (1903–2000) artisan de l’indépendance de la République tunisienne et premier président de ce pays, et bien sur celle de Léopold Sédar Senghor (1906–2001), poète, écrivain, homme politique français, puis sénégalais et premier président de la République du Sénégal qui affirme: «La Francophonie, c’est l’usage de la langue française comme instrument de symbiose, par-delà nos propres langues nationales ou régionales, pour le renforcement de notre coopération culturelle et technique, malgré nos différentes civilisations». Le numéro consacré au «français, langue vivante» de la revue Esprit paru en 1962 marque l’avènement de cette conscience francophone.
A partir des années 60, la francophonie s’est donc largement émancipée du fait colonial pour devenir un projet politique rassembleur au-delà des continents qui s’est progressivement institutionnalisé, d’abord au sein de différentes agences, pour prendre la forme depuis 2005 de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF). Ce projet politique a pu être accusé d’entreprise néocolonialiste à ses débuts. C’est pour cette raison que la France a longtemps gardé ses distances avec la Francophonie institutionnelle. Le général de Gaulle ne voulait tout simplement pas que la France participe à cette dynamique. Aujourd’hui, il suffit d’examiner la liste des 80 pays répartis sur les 5 continents et représentés au sein de l’OIF pour écarter cette thèse tant les anciennes colonies françaises et belges ne constituent plus la part majoritaire.
Cette communauté linguistique, qui se reconnaît dans un projet politique, regroupe une très grande diversité de cultures et de traditions. C’est à la fois sa force et sa richesse. Cette juxtaposition, cette confrontation parfois, d’histoires et de cultures ne pouvaient être qu’un terreau fertile pour la langue et la littérature. Car, par le truchement d’un idiome commun, l’expérience des uns pouvait être accessible en langue originale pour tous les autres. De cette richesse, de cette multiplicité la littérature s’est emparée.
Les littératures francophones ont accompagné le développement de la francophonie. En même temps que les pays devenaient indépendants, les locuteurs prenaient conscience que la langue française n’était plus la propriété exclusive des seuls Français. Ils pouvaient s’en saisir pour dire et raconter leur propre histoire. Il a d’ailleurs beaucoup été question d’identité avec, par exemple, le mouvement de la négritude lancé par Aimé Césaire et encore Léopold Sédar Senghor. Aujourd’hui, la littérature francophone est une littérature métissée, ouverte et foisonnante.
Cependant, le concept même de littérature francophone fait débat. Faut-il distinguer la littérature française, c’est à dire l’ensemble des textes littéraires écrits en français, et la littérature francophone comprise comme des corpus distinctsde langue française, qui renvoient à des pays ou régions hors de l’Hexagone ? Pour sortir de l’imbroglio certains parlent de littérature-monde en français...
L’ambition de ce premier numéro spécial francophonie de Metai est de donner un petit aperçu de la variété de la littérature de langue française qu’elle vienne de Belgique, avec Jean Philipe Toussaint, de Roumanie avec Eugène Ionesco ou encore des deux bords de la méditerranée avec Leila Slimani.
En cette année de célébration du centenaire de la naissance d’A. J. Greimas on pourrait se poser la question de l’existence d’une littérature francophone lituanienne ? Y a-t-il des auteurs qui rendraient compte en langue française de l’expérience de la Lituanie ? Oscar Vladislas de Lubicz-Milosz et Jurgis Baltrušaitis certainement, Romain Gary peut-être...
Malgré ces quelques cas isolés, il n’est pas possible de parler de littérature francophone lituanienne. Et c’est bien normal compte tenu de l‘histoire de la Lituanie. Même si la Lituanie est membre observateur au sein de l’OIF, elle n’est pas, loin s’en faut, un pays francophone. Il faudrait pour cela que la Lituanie reconnaisse, comme les 44 Etats membres, un statut officiel à la langue française. Ce n’est évidemment pas le cas. En 2014, date du dernier recensement par l’OIF, 75 000 lituaniens parlaient français soit à peine plus de 2% de la population (ce qui situe cependant la Lituanie devant ses voisins estoniens et lettons avec respectivement 1.5% et 1.3%).
Mais derrière ces chiffres modestes, se cache en réalité une longue tradition francophone et francophile en Lituanie qui, si elle n’impacte pas les statistiques, s’incarne dans des destins individuels et trouve encore des relais bien vivants.
Elle prend sa, source dans quelques évènements marquants comme le règné Henri de Valois, sur le Royaume de Pologne et le Grand-Duché de Lituanie de 1572 à 1574. Le passage de Napoléon en pleine retraite de Russie a marqué la noblesse lituanienne et a nourri le rêve d’indépendance vis-à-vis de la Russie. Stendhal faisait partie des officiers de l’Empire et la maison où il résida, à Vilnius, est maintenant l’ambassade de France et l’Institut français. La création de parcs à l’initiative d’Edouard François André (1840 – 1911) témoigne également de l’art de vivre à la française à Palanga, Lentvaris, Užutrakis et Trakų Voké. L’entre-deux guerres connaît un grand rayonnement du français, alors première langue étrangère enseignée.
Ce sont donc des liens forts et indéfectibles qui unissent la France et la Lituanie. Plutôt que de francophonie peut-être faudrait-il faire appel au concept de Franco-Lituanie. La Franco-Lituanie transcende la question linguistique pour désigner cette communauté de valeur cette convergence de destin européen dont la littérature ne manquera pas d’être à la fois le témoin et l’acteur.
Finalement, si la francophonie ne recouvre pas une réalité tangible au moins au plan statistique, la Franco-Lituanie est bien vivante et active. En témoignent les nombreux projets qui, aux niveaux scolaires, universitaires et culturels, réunissent nos deux pays. Ce lien fort et sincère tient sans doute au fait que la France n’a jamais reconnu l’annexion des pays baltes par l’URSS et a été l’un des premiers Etat à reconnaître la nouvelle indépendance de la Lituanie. La France y a ouvert son ambassade dès 1991. La première visite d’Etat en Lituanie à nouveau indépendante fut celle du Président de la République François Mitterrand le 13 mai 1992.
L’Institut français est la manifestation concrète de ce pont jeté entre les deux pays. Ce numéro de Metai spécial francophonie s’inscrit donc dans une longue tradition de coopération intellectuelle et littéraire. Qu’il apporte au lecteur une ouverture supplémentaire, qu’il lui donne envie de découvrir les auteurs francophones pourquoi pas, au prix d’un certain effort, en langue originale.
Le français sera pour lui la clé d’un royaume littéraire et culturel d’une richesse infinie.
Nicolas Torres – attaché de coopération pour le français Ambassade de France en Lituanie.
Lietuvos rašytojų sąjungos mėnraštis „Metai“, 2017 Nr. 3 (kovas)